Thomas – 3

Ils restèrent tous figés un long instant, le seul mouvement étant celui de la poussière qui retombait. Il n’y avait qu’une seule personne devant eux, une Survivante d’apparence, une Éboueuse en réalité.

— Je ne te connaissais pas ces pouvoirs, Thomas, fit-elle sur un ton léger.

Mais ses mains tremblantes démentaient la plaisanterie.

— Moi non plus, Noëlle. Et maintenant que je les ai découverts, j’essaierai de ne plus les utiliser.

— Il faut partir, Thomas. Il y a des fous dangereux parmi les Survivants et il faut leur éviter la tentation de commettre le pire.

— Nous ne risquons rien, tu le sais, fit-il d’une voix apaisante. Et je tiens à parler à leur Conseil. Les fous n’y sont quand même pas majorité, j’imagine.

— Non, mais ces fous ne laisseront pas l’occasion aux autres de t’écouter. Venez, nous avons déjà perdu assez de temps.

Elle fit un pas vers le couloir.

Iona fut la première à la suivre.

— Puisque la porte est ouverte, pourquoi ne pas en profiter ?

Thomas jeta un regard à Mathieu et haussa les épaules.

— Pourquoi pas ?

Il enjamba la porte et suivit Noëlle qui était partie vers la droite. Il n’y avait aucun Survivant en vue.

— Où allons-nous ? Par les couloirs, il y a bien pour une heure de marche et nous ne pouvons espérer faire tout ce chemin sans rencontrer personne.

— Tu pourras retourner vers nos couloirs quand tu le voudras, Thomas. Et ramener Iona vers la sécurité. Mais puisque tu es venu aussi loin, je veux en profiter pour te montrer quelque chose. Je t’en ai déjà parlé, mais tu n’as jamais eu l’occasion de le découvrir de tes propres yeux.

La cellule n’était fermée que par un rideau, mais Iona ne se sentait plus aussi menacée. Elle regarda autour d’elle, découvrant ce qui était manifestement le cadre de vie d’un Survivant. Ou de deux, plus probablement, car il y avait deux étroites couchettes de part et d’autre d’une armoire métallique. Elle caressa timidement le meuble, relique des temps anciens.

— Aide-moi, fit Noëlle en s’arcboutant contre l’armoire.

À deux, elles l’écartèrent de la paroi et la firent glisser d’un pas sur le sol en légère pente montante, découvrant une étroite ouverture circulaire dans le roc.

— Par là, l’un après l’autre, fit Noëlle. Je passerai la dernière.

Iona prit la tête, suivie par Mathieu, puis Thomas. Celui-ci remarqua qu’une poignée avait été soudée à l’arrière de l’armoire. Il entendit un grincement derrière lui quand Noëlle ramena l’armoire dans sa position originelle. Maintenant, ils avaient quitté les couloirs des Survivants.

Ils suivirent un couloir parfaitement rectiligne. Iona ne pouvait s’empêcher de s’arrêter, touchant le sol ou les parois. Elle se retourna soudain vers Thomas.

— Partons d’ici, Thomas. Il n’y a rien à voir. Partons. Rentrons chez nous !

Sa voix, ordinairement basse et mesurée, comme chez tous les Éboueurs, gonflait à chaque mot, devenant presque un cri.

Il la prit par les épaules.

— Du calme… Il n’y a rien d’anormal ici, et nous ne risquons rien.

Il consulta Mathieu du regard, comme s’il doutait qu’il n’y eût rien d’anormal, malgré ses paroles apaisantes. Celui-ci hocha doucement la tête de droite à gauche. Lui aussi ne percevait aucun danger. Mais Iona continuait à trembler.

— Qu’y a-t-il de si inquiétant ?

— Les murs… Le sol… Pas la moindre trace d’outils. Cette pierre n’est pas… vivante, comme celle de nos couloirs. C’est la mort qui nous entoure, Thomas. Et tu ne le sens même pas !

Elle était au bord de la crise de nerfs, quelque chose qui ne lui était jamais arrivé, qui ne se produisait que tellement rarement parmi les Éboueurs qui faisaient profession de se contrôler parfaitement.

Il comprit. Lui, il avait déjà vu des couloirs semblables. À la Centrale, notamment. Mais elle n’était jamais allée jusque-là. Tous les Éboueurs ne franchissaient pas les Épreuves. Seulement un représentant de chaque famille.

— Ce n’est pas la mort qui nous entoure, Iona. Seulement le passé.

— Et le passé est toujours vivant, lui qui nous permet de découvrir le présent, compléta Noëlle sur un ton mystérieux.